lundi, juin 04, 2007

Ospital de Orbigo--> Santa Catalina de Somoza

Cette nuit, je me retourne de nombreuses fois dans mon lit, je ne dors pas bien à cause des deux grands-pères et de leur dynamisme forcené. La pensée que je pourrais moi aussi faire 40 km quotidiens m'obsède, il semble que ma jeunesse (relative) m'impose de faire au moins aussi bien qu'eux. Ne dit-on pas « plein de force et de jeunesse » ?

Bien sûr, accompagné de Cristina, ce genre d'exploit est un peu difficile, mais surtout (c'est l'important) mon pèlerinage poursuit un but exactement inverse : je dois prendre son temps. Je subis simplement la pression idiote de mon orgueil parce que j'ai besoin de prouver que je suis capable de marcher 40 km. Je me retrouve dans un paradoxe dont mon cerveau a le mystère : faut-il céder à l'envie de piquer une pointe (juste une fois), ou bien dois-je accepter d'être doublé par deux petits vieux sans m'en faire ?

Ma tentation n'est pas originale. Le culte de la performance est aussi constitutif du genre humain que sa capacité à compter. Comment expliquer autrement tous ces cons qui gâchent leur jeunesse à courir après des chronomètres, à manger des pâtes tous les jours et à se lustrer les muscles ?

D'un point de vue social, la performance des individus possède une dimension structurante. Il faut certes reconnaître que cela fournit un sens positif au progrès et une sorte d'indicateur du développement personnel, notre époque adore les indicateurs. Mais lorsqu'on parle de sa propre vie au sens très étroit de ce qui a un début et une fin : Ne faudrait-il mieux pas renoncer à être performant pour devenir un glandeur magnifique ? Totalement libre et hédoniste, il vaudra mieux oublier le calculs des kilomètres, son salaire et le nombre d'employés sous ses ordres ?

Finalement, nous avons marché notre lot quotidien sans excès : 24 km. Mais j'en veux toujours aux deux grands pères qui se levaient de bonne heure de m'avoir empêché de dormir.

Dans le village, il n'y a guère que 6 maisons et nous sommes seulement 6 dans le refuge. Le soir, je médite pendant un peu plus d'une heure dans un champ de pissenlits en graines, j'ai vu le soleil se coucher trois fois de suite en me déplaçant sur la montagne. C'était si beau que je souhaitais écrire pour l'éternité. Je n'en fis rien. Pascal disait de la peinture « Quelle vanité d'attirer l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas l'original ». Même ma mémoire je renonçais à l'utiliser, car de se souvenir en même temps que l'on vit c'est un peu comme de jouer au tennis en même temps que l'on prend des photos. Je me laissais finalement aller à divaguer. Maintenant que je me souviens de ce moment, j'ai tout de mes délires, mais je sais que c'était bon et c'est probablement le plus important.