mercredi, mai 16, 2007

L'appel de la route



L'histoire commence ainsi. J'étais dans mon tacot à bout de souffle, en train de traverser la France, j'allais passer chez mes parents les fêtes de Noël. De Toulouse au Mans, le voyage allait durer huit longues heures qu'il me fallait tuer sans m'endormir au volant. Je redoute cet exercice comme la peste, pourtant tous les ans, ça recommence, la tradition de Noël ne souffre pas d'exceptions, on serait été très déçu si je ne déballais pas mes cadeaux sous le sapin. Alors, je conduisais mon auto, mes mains tièdes posées sur le volant, moitié sur la route, moitié dans la déroute de mes idées. J'occupais mon esprit à gamberger et à refaire le monde. Je dépoussiérerais ma vieille cervelle en retournant mes idées. Invariablement je retombais dans les mêmes conclusions : quelque chose n'allait pas.
Mes humeurs allaient comme les montagnes russes, tantôt une belle éclaircie dans le ciel et je me mettais à chanter, tantôt je sombrais dans mes idées noires, poursuivi par les fantômes de mes jours de labeur. Le voyage n'avait pas si mal débuté, ce n'est que la succession des heures qui a commencé à m'user, peut-être faut-il accuser aussi le ciel hivernal de m'avoir refilé sa grisaille.
Le ciel s'est couvert, des nuages gris ont cerné l'horizon de toutes part. Un froid humide est descendu et j'ai dû mettre le chauffage en marche. Des nappes de brouillard moutonnaient de toutes parts et finalement, lorsque je sortais de l'autoroute pour emprunter les voies secondaires, je ne voyais pas plus loin que dix mètres.
Ah, non ! Je ne chantais plus, la fête était terminée. Aux alentours de Limoges, le tableau se noircissait plus encore, des bouchons ont commencé à se former et je me suis trouvé pris au piège dans un cortège de vacanciers. Je pestais. Merde ! Pris dans le flux, ils m'avaient eu encore une fois, j'étais coincé à l'avant comme à l'arrière : Je maugréais et je fini par perdre mes nerfs, me mis à crier dans l'intimité de ma voiture, je me défoulais en insultant tous ces cons d'automobilistes sans me rendre compte que j'en faisais partie.
Le monde s'était ligué contre moi et ne voulait pas entendre que j'étais innocent. Je terminais ma diatribe, essoufflé et las et je dus prendre mon mal en patience, jurant une fois encore qu'on ne m'y prendrait plus.
Pourtant, cela résumait admirablement bien ma vie, quoi que je fasse, parmi ces pauvres gens, je n'étais que de la matière à embouteillage, essence ordinaire. Certes, j'existe, mais je ne sais pas pourquoi ! Que vaut la vie quand on n'est pas libre ?
À mon âge, il est temps de retrouver son cap et de se souvenir de ce que j'attends de la vie : pourquoi cette belle maison, ce travail intéressant, cette femme aimante. Pourquoi ces enfants tout roses, ces voyages, l'écriture ? Si je prétends à quelque succès dans cette tâche, Il ne faut plus raisonner comme un idéaliste plein de belles idées, mais comme un galérien dont les forces sont comptées. En effet, je n'ai jamais été si proche du jour de ma mort qu'au moment même où j'écris ces lignes.
J'ai déjà fait de nombreuses tentatives de renouvellement, mais toutes les fois où j'ambitionnais une révolution, il n'y avait que des « y'a qu'à » et des « faut qu'on » qui pleuvaient par milliers et tant qu'à procrastiner, j'ai construit des piles immenses de résolutions. C'est très bien, jusqu'au moment où je commence à les examiner. Je ne mesure la distance qui me sépare de mes objectifs que lorsque le réel me rattrape et c'est comme d'avoir la gueule de bois. Des voix dans ma tête, m'aboient dessus, me vident de toutes mes forces. Il ne me reste donc plus qu'à oublier la théorie, car je dois me rendre compte : « A l'impossible nul n'est tenu », « Alea jacta est », « Vae Victis », « Un Pipi et au lit »
Je me recouche vaincu et la conjuration de ma vie anonyme ne démarre pas. Si je persiste encore dans mes chimères, je finirais un jour par disparaitre en haute mer, avalé par les siphons de l'imaginaire.
J'ai donc commencé donc par déserter les zones théoriques, j'ai cessé de jouer l'intellectuel et j'ai renvoyé à ses études le donneur de leçon qui me hantait pour me concentrer sur le côté pratique.
Je me suis contraint à des ascèses vexantes : j'ai arrêté le café pour boire du thé, j'ai laissé ma clope au cendrier, j'ai commencé le yoga et la marche à pied, parfois je ne mangeais qu'une seule fois dans la journée. Ces résolutions subites ont écarquillé les yeux à mon entourage, ils craignent que j'aie perdu le nord et que je louvoie le long de rivages trop mystiques. J'ai appris à laisser glisser ces moqueries gentilles, je suis peut être mystique, et alors ?
J'aimerais cette fois réfléchir tranquillement et ne plus avoir d'objectif, ne plus viser une transformation comme tous ces rois de la réforme, qui crient dans l'oeil du cyclone qu'ils sont les maîtres du monde. Je troque mon habit de charlatan moraliste et je deviens un simple observateur, la contemplation sera ma nouvelle vocation. Je veux me retirer et trouver un endroit calme pour réfléchir. Je veux partir là où aucune responsabilité ne m'atteindra. Ne plus penser à mon mal, ni à celui des autres, ne plus laisser l'orgueil s'emparer de mes lignes, ne plus croire non plus que ma réflexion est utile à qui que ce soit. Pendant ce temps, je veux être philosophe.