vendredi, juin 15, 2007

Retour par San Sébastian

Insidieusement, la civilisation me reprend dans sa maladie, un changement s'opère, mais il est difficilement mesurable, il me semble que je recommence à devenir terne, Cristina insiste pour que je n'oublie pas l'optimisme que j'avais sur le chemin. J'ai la confuse impression d'avoir raccourci mes idées et perdu de mon imagination. Ce clair obscur m'en fait prendre conscience, mais demain... ?

Il me faut faire face à une invasion d'informations, mon cerveau se transforme en soupe aux vermicelles où un tas d'idées, comme des spermatozoïdes, crient "à moi.. à moi..." Des parasites modernes arrivent en masse pour me manger le cerveau. Partout où ils peuvent, ils me minent.

Une triste chanson reprend son refrain... L'horaire du train, la réservation de l'hôtel, donner des nouvelles à maman, la surveillance des sacs à dos...
J'intuitionne que pour un meilleur développement de ma sagesse, il vaudrait mieux que je vive moins obligé, c'est à dire... libre.

jeudi, juin 14, 2007

O pino --> Santiago



Après un repas frugal, suivant l'inertie de la discipline, nous sommes allés de bonne heure au lit. Cependant, pour beaucoup d'autres, la veillée ne fût pas ordinaire. En effet, une partie des pèlerins avaient beaucoup bu pour célébrer l'arrivée proche. Pour notre dernière nuit, la communauté des pèlerins a préparé une sorte de show en notre honneur, ainsi nous conserverons une image vivace du pèlerinage.

Dans notre lit, nous prenions sans le savoir nos places pour un spectacle. Comme dans tout spectacle, les choses ont commencé dès que la lumière s'est éteinte. A la porte, chaque fois qu'elle s'ouvrait, découvrait un nouveau numéro : D'abord un Espagnol paru dans l'entrejour, il était imbibé d'alcool. Visiblement très content de l'être, il nous fit savoir qu'il avait bien bu en émettant un rot conséquent. Les gens bien élevés, carrés dans leur lits cherchant le sommeil, feignirent de n'avoir rien entendu. Mais l'homme était déçu de son flop et non content de n'avoir pas suscité l'indignation dans le dortoir, poursuivit en lâchant un pet énorme et bien gras. Cette fois-ci, il obtint satisfaction, une femme l'insulta : « Espèce de cochon ». Content de son outrage, il rit bien fort puis tituba jusqu'à son lit. Quelques olibrius défilèrent encore, répétant plus ou moins la même scène. Mais le clou du spectacle restait à venir !

Plus tard, alors que nous dormions déjà, une grande fille slave a débarqué comme une brute, elle était bourrée comme une vache, et son chemin n'allait plus du tout droit ! Par comble de chance ou de malchance. Elle s'est installée dans le lit juste au bas du mien et a commencé à parler toute seule, l'affaire durait tout de même une bonne vingtaine de minutes. J'étais résolument sobre, ne voulant pas envenimer la situation en faisant la moral à une fille bourrée qui ne parlait pas ma langue, j'ai donc pris mon mal en patience. Mais la sotte s'est mise à pleurer, il a fallu qu'elle pisse son vin, se déplaçant avec la grâce des ivrognes, qu'elle insulte son monde, etc. Décidement , cette nuit fut mémorable !

Quand nous rentrons dans Santiago, il pleut des cordes. Une dernière fois nous enfilons nos parka pour nous préserver de l'eau.

C'est fini !

J'essaye de me rappeler mes sublimes méditations, mes solitudes ensoleillées, je les protège tant que je peux, mais la ville ne fait pas grand cas de ma fragile paix. Nous déposons nos sacs dans une pension et nous acquittons d'une sieste bien méritée pour clore nos exploits. Classiquement, nous nous rendons à la cathédrale afin de bénéficier de la réduction promise sur nos péchés : les confesseurs officient dans des petits guichets, j'ai l'impression comique d'être à la Poste. Je ne suis sans doute qu'un impertinent irréligieux qui plus est irepentant, mais c'est d'un comique irrésistible.

Un petit passage me permet d'accéder au Saint Sépulcre, Saint Jacques est là, en bas, dans sa boite. De pieuses personne à genoux prient devant lui, invoquant sans doute une guérison miraculeuse, je ne me sens pas bien. Je n'ose pas rentrer dans le saint sépulcre, l'endroit est étouffant de piété. La religion : ce trompe mort !

En sortant de l'église, je me distrais chez les marchands du temple et résiste avec peine à l'envie de m'acheter une boule qui fait de la neige sur la cathédrale de Santiago.

mercredi, juin 13, 2007

Arzua --> O Pino

Nous marchons tristement, presque sinistrement, silencieux et méditatifs, nous longeons la route nationale, le flux hurlant de camion ne s'arrête jamais plus de trente secondes, nous sentons la ville nous reprendre dans ses mailles. Je n'ai pas le moral, tout est laid, je n'ai plus d'espérance, si cela ne tenait qu'à moi, je démissionnerais maintenant de ces derniers tristes kilomètres et prendrais le train sans voir Santiago.



Je viens d'accomplir un rêve, mais je suis vide maintenant. En attendant d'en inventer un autre, je vais me rassoir.
Je suis cependant fier d'avoir accompli ce voyage avant d'avoir atteint l'age de la retraite : c'est dérisoire. Lorsque j'ai pris ces deux mois de vacances, je me suis démarqué des 80 % de la population et c'est un bon début ! Faut me pardonner, j'arrive de loin, et oui, je suis dans l'informatique...
Le soir, nous mangeons dans un réfectoire, les pèlerins tombent le masque, abandonne leurs complexes et renouent bruyamment avec leurs téléphones portables. Cris et moi, assis à une table faisons le bilan de nos péripéties, nous évoquons l'histoire de Pablito et nous sourions. Déjà, il s'agit d'un passé révolu, car nous sommes pressés de ranger nos maux de dos dans l'album de nos souvenirs.

mardi, juin 12, 2007

Palas del Rei --> Arzua

Un prophète a probablement dit un jour : « Arriver c'est mourir un peu ». Dans l'odeur de la fin, je regarde avec mélancolie les couleurs matinales, je m'extasie devant la brume mystérieuse. Je me saoule de ces dernières expositions naturelles, dans la forêt levant les yeux, toujours je me demande le nom des arbres. Je chante à tue-tête.
Bientôt, je compterais à nouveau parmi le peuple des ombres, à mon poste, l'oeil vitreux devant mon ordinateur. J'oublierai les kilomètres, les pansements et les ronfleurs, pourtant une tristesse incompréhensible me prend à l'idée de les abandonner.
Le chemin est une excellente métaphore de la vie, il va jusqu'au bout, il n'y a rien à faire d'autre. Au moment où ça se termine, on se dit : comme c'était bien ! Mené tambour battant ou lentement, intensément ou tranquillement, il existe autant de "comments" qu'il y a de marcheurs, mais de "pourquoi", plus on y pense et moins on le sait, ce n'est pas l'important. Il n'y a que les routes qui sont belles, les fins sont toujours tristes.



Plus proches de Santiago, nous rentrons dans la Galice civilisée, les coqs et les vaches que nous croisons ont une allure plus propre. Il n'y a plus de merde, ni de maisons éventrées. Les vaches allaitent leur veau en plein champ, l'image est tendre, comme dans une pub pour le chocolat ! Ce matin, nous croisons même une femme qui menait ses vaches au pâturage en les appelant chacune par leur nom : Uuuh Maravilla ! Je suis ému.

lundi, juin 11, 2007

Portomarin--> Palas del Rei

C'est maintenant au tour de Cristina de souffrir, nous devons nous arrêter toutes les demi-heures, elle affirme qu'elle n'a jamais été aussi fatiguée de sa vie. Lentement, nous voyons les bornes décompter le reste à faire. 88,5... 88... Je suis moi aussi brisé, j'explique à ma douce qu'elle se trompe : le présent est souvent convaincu d'être exclusif dans la souffrance, mais le temps oublie vite les moments difficiles pour ne retenir que le meilleur. Cristina s'étonne, je lui ai pris son rôle ! Ma douleur m'aurait-elle rendu philosophe ?
Rien pourtant n'y encourage, le chemin de Santiago n'a plus rien de spirituel dans sa finalisation. On fait les derniers kilomètres parce qu'ils sont nécessaires pour le diplôme, ce n'est pas l'éloge de la lenteur, c'est l'inverse. On les torche rapidement pour pouvoir envoyer une carte postale de là-bas.
Tout est efficace, balisé, performant... Demain, ce sera un monopole Decathlon. L'industrialisation répond à la pression démographique, sa tendance uniformisante est un rouleau compresseur.
Le touriste où le pèlerin c'est égal, sont les vecteurs de la normalisation, nous rongeons et portons notre banalité toujours un peu plus loin, nous vampirisons une à une les cultures que nous traversons, avant de nous reporter sur les survivantes.
L'industrialisation est l'ennemie de la liberté, elle formate au nom de l'efficacité. La liberté n'est pas possible sans singularité. La standardisation des désirs est la plus grande victoire de l'industrialisation. Elle a commencé par une fameuse blague de Mr Ford : « Vous pouvez avoir une Ford-T de toutes les couleurs, à condition qu'elle soit noire. » Cent ans plus tard, on peut dire que nous avons droit à tout, pourvu que cela soit dans le catalogue.


Seule la rébellion est un réel contre-pouvoir à cette industrialisation victorieuse. La rébellion présente la différence comme une fin en-soi, elle n'est pas raisonnable, mais elle nécessaire si nous ne voulons pas finir comme les poulets que nous avons mis en batterie.

dimanche, juin 10, 2007

Calvor --> Portomarin

Le sac à dos portait douloureusement sur mes épaules et je n'avais qu'une hâte : arriver. Je prie pour que le retour soit le plus rapide possible et j'allonge le pas. Je suis si faible. J'en suis à me demander s'il ne faudrait pas prendre un jour de repos pendant mes vacances. Nous avons passé Sarria ce matin. À 115 km de Santiago, c'est la dernière ville de départ pour obtenir la Compostella qui certifie le pèlerinage. Un minimum de 100 km est nécessaire pour qu'on l'accorde aux piétons, 200 km pour les cyclistes. Conséquemment, le dernier tronçon est beaucoup plus peuplé. En file indienne, la colonne avance vers Santiago.

À Portomarin, il n'y a plus de place et nous devons dormir dans un poulailler industriel de 110 places. La fille derrière son ordinateur me demande quel est mon numéro de mon lit, c'est avéré maintenant : la société industrielle nous avait rattrapés.

Je suis déprimé, je laisse mon agacement reprendre le dessus et distiller ses mauvaises pensées A quoi bon rester zen ?

Pèlerins, parqués dans des bétaillères, nous allons d'un point à un autre. Au conseil régional de Galice, des experts analysent le flux, se félicitent de la fréquentation, car c'est un facteur de redynamisation de la région. Surement qu'un type avec une cravate pense qu'il faut faire plus et mieux, construire de nouveaux baraquements, mettre des jacuzzis dans les albergues, et des masseurs le long du chemin. Dans le monde de demain, il y aura toujours du papier dans les toilettes !

samedi, juin 09, 2007

Ospital de Condesa--> Calvor

Dans l'odeur d'ensilage et de bouse de vache, nos ascensions se poursuivent douloureusement, mais nous espérons bientôt regagner les plaines. Nous traversons des coins vraiment sauvages, derrière des bicoques défoncées, des types à la trogne mal dégrossie passent leur journée à fendre des bûches en suant dans une chemise salopée. Dans les jardins, les planteurs de patate ne lèvent pas les yeux à notre passage, indifférents au flux de pèlerins, ils sont blasés. Dans leurs yeux, on lit une certaine suspicion : « Ils sont fous ces citadins à crouler sur leur sac ! ». La Galice est en effet la région la plus pauvre d'Espagne, très agricole, on voit peu de tracteurs modernes, la majorité date des années 70 : des Massey-Fergusson et des Renault.



Dans ce contexte, le touriste est avant tout assimilé à un idiot qui ne sait pas quoi faire de son fric. Un type nous attendait au coin de sa ferme, il me met un bâton dans les mains et me réclame ensuite deux euros. Je n’en veux pas ! Il marchande : « Un euro, s'il te plaît, c'est pour commencer ma journée ! ». « C'est ça ! Et mon cul, c'est du poulet ? »
Cependant, comment leur donner tort à ces gens de Galice ? Si on plantait des choux, on n’irait surement pas faire les cons sur le chemin. J'avance maintenant dans la souffrance et mes pieds gonflés sont devenus très lourds, je traine ma carcasse par habitude. Les exercices d'éveil ne m'intéressent plus, je ne pense plus qu'à arriver et dormir. Les questions existentielles n'ont plus de sens, il semble que j'ai vaincu la crise de la trentaine en rétrogradant au sens Maslowien, maintenant que j'ai faim, je n'ai plus besoin de reconnaissance sociale !